A quand le printemps des médias ?

Publié le par ETIENNE VERDIN

Ces journalistes qui se voient déjà à L’Elysée

« Le premier G8 c’est Chicago, non ? », « Ca va être cool de voyager dans l’Air Hollande one !», et puisque nous sommes à Reims : « Le champagne, c’est maintenant ! »

Dans le car qui balade les journalistes du Hollande Tour, mes confrères parisiens se voient déjà à l’Elysée. C’est inquiétant. Mais ça se passe comme ça en France : vous suivez un candidat 16 heures sur 24 pendant quatre mois. Ca crée des liens : il connaît votre prénom, son entourage vous a à la bonne et votre rond de serviette est réservé en cas de victoire. Votre rédaction ne risque pas de ruiner ce capital. 

Alors, pendant la campagne, Hollande devient votre poulain. Dès lors, comment ne pas tenter de le vendre dans vos articles et vos reportages ? Car s’il gagne (et en ce moment il est très bien placé), il vous entraîne dans son sillage. A vous les voyages officiels, les vols en « Air Hollande one », les coulisses du palais et les entrevues sous les ors de la République. Bref, l’ivresse du pouvoir a déjà envahi une frange de mes confrères. Hier, j’ai donc embarqué sur le Hollande Tour, à Reims, où j’ai pu observer ce manège. Environ 70 journalistes accrédités, répartis dans deux cars. Un petit et un grand. Si vous embarquez dans le petit, vous pourrez faire votre travail correctement. Vous êtes un journaliste « poolé », c’est-à-dire privilégié (« en pool », une équipe réduite censée partager ensuite ses images et informations aux confrères restés sur le carreau). Je demande à une chargée de presse du PS : « Ca arrive que la presse étrangère soit poolée ? » Je connais la réponse, mais je veux l’entendre : « Euh… ça… pourrait arriver. »

Cas pratique. Je ne suis pas « poolée » : ça, c’est pour les « grands médias nationaux » (TF1, France 2, Radio France, I-télé, BFM et Le Monde). Le grand car me débarque dans la salle de réunion attenante à une fabrique. Le petit car s’est arrêté à la porte de l’entreprise qui fabrique des vérins*. Dans la salle, les non-poolés sont priés de patienter 45 minutes, le temps que les poolés suivent le candidat dans la fabrique. J’ai vite compris que pour tirer quelque chose d’un suivi de candidat, il faut désobéir aux consignes du service de presse. Je sors, je contourne les hangars dans un zoning désert. Et je retrouve mes petits camarades de jeu poolés. Je passe la porte, le type de la sécurité est distrait, et je me retrouve nez-à-nez avec François Hollande. Je dégaine mon micro et je peux alors graver cette grande tradition du déplacement de candidat, ce moment où la patronne de l’entreprise offre un cadeau en disant : « Un vérin pour mettre sur votre bureau à l’Elysée ! »

Ca paraît très con, mais une visite d’entreprise, c’est le moment où l’on peut approcher vraiment le candidat. Ecouter comment il dialogue, comment il réagit, s’intéresse, etc. L’accès est donc très VIP. C’est un luxe question conditions de travail. Mais il y a un gros problème : ce sont toujours les mêmes qui sont VIP. Et cela coupe donc toujours les mêmes de certaines informations. Oui, « information. » Car c’est au terme de ce moment de relative intimité que les journalistes VIP en profitent pour caler Hollande dans un coin et le lancer dans une séquence « off ». Un « off » tout relatif : c’est juste que personne n’enregistre, les appareils photos pendent à l’épaule et le silence est religieux. Le ton de Hollande change radicalement. Ce n’est plus le même homme : il s’exprime avec un timbre de voix « confidence ».
- « Vous pensez que le grand meeting de Sarkozy dimanche peut inverser la vapeur ? » Hollande : « Je pense que l’UMP est tout de même capable de mobiliser 30.000 à 40.000 personnes pour ce meeting… »
- « C’est une semaine cruciale, celle qui s’achève ? » Hollande : « J’entends dire à propos de chaque semaine qu’elle est cruciale, donc j’attends la prochaine ! La semaine cruciale, ce sera la dernière avant l’élection. D’ici-là, les choses peuvent monter, puis descendre, il y aura encore beaucoup de mouvements. »
- « Vous serez à Tulle le soir du 22 avril ? » Hollande : « Sans doute, je n’y ai pas encore pensé. »
Apparemment, un « Sans doute, je n’y ai pas encore pensé » a valeur d’information. Parce que sitôt remontés dans le petit bus, les « poolés » ont réservé des chambres à Tulle. « Message de service ! Y’a déjà presque plus de chambres au Mercure de Tulle, il faut se grouiller ! », crie une journaliste à travers le car.
Moi je suis un peu la taupe du petit bus, alors je préviens les journalistes du grand bus (qui en sont à leur troisième café dans la salle de réunion) qu’il faut songer à l’option « réservation sans frais d’annulation » dans le dernier hôtel disponible à Tulle.

 

* Un vérin est un tube cylindrique (le cylindre) dans lequel une pièce mobile (le piston) sépare le volume du cylindre en deux chambres isolées l’une de l’autre. Un ou plusieurs orifices permettent d’introduire ou d’évacuer un fluide dans l’une ou l’autre des chambres et ainsi déplacer le piston. C’est, par exemple, l’élément de base du marteau-piqueur.

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